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Pesticides, inondations, sécheresses: comment préserver l'eau potable, altérée par des pratiques agricoles et industrielles, et atténuer les effets du changement climatique? C'est le jeu d'équilibriste auquel se livrent des acteurs de l'eau en Bretagne depuis plus de trois ans, sans parvenir au compromis.
Élus, représentants des mondes agricole, industriel, associatif devaient se retrouver jeudi à Châteaubourg (Ille-et-Vilaine) pour la révision du Schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) du bassin versant du fleuve Vilaine. Ce texte vise à améliorer la qualité des masses d'eau, aujourd'hui très mauvaise, sur ce territoire qui englobe six départements, de la Mayenne au Morbihan, avec 1,3 million d'habitants.
Après une quinzaine de réunions, une enquête et une consultation publiques, divers ateliers, cette réunion de la Commission locale de l'eau (CLE) devait être la dernière. Mais elle a été annulée en dernière minute, a annoncé la préfecture d'Ille-et-Vilaine.
La Coordination rurale, deuxième syndicat agricole, aussi opposée au texte, a mobilisé une trentaine de membres et manifestait à part.
Les partisans du SAGE Vilaine, la Confédération agricole et AgroBio35 et des associations, étaient une centaine, selon les forces de l'ordre, présentes en nombre.
La salle où devait se tenir la réunion était inaccessible, bloquée par un ballot de paille et un tracteur.
Une règle cristallise les tensions, dans un territoire très agricole: l'interdiction d'herbicides pour maïs dans des parcelles sensibles à l'érosion, situées dans une poignée d'aires de captage en eau potable. Il s'agirait d'une première en France.
Le but: éviter qu'en cas de pluie, ces polluants se retrouvent dans l'eau. Des dérogations restent possibles en cas d'impasses techniques ou climatiques et une aide financière est prévue pour passer au désherbage mécanique.
- Herbicides interdits -
La dernière version de cette règle, pourtant amendée par les chambres d'agriculture, ne passe pas auprès de la FNSEA-JA. Le syndicat a obtenu un report du vote au 16 janvier. Il demande aussi "la réécriture de plusieurs règles" et "une étude d'impact socio-économique", a expliqué à l'AFP Christian Mochet, éleveur laitier, de la FDSEA 35, présent à Châteaubourg.
Marie-Ève Taillecours, de la Confédération paysanne, défend au contraire la révision du SAGE Vilaine. Elle juge "consternante" l'annulation de la réunion de la CLE, "le parlement de l'eau, une instance démocratique", face à "un coup de force, en montrant les gros bras".
L'interdiction des herbicides de maïs concerne moins de 16.000 hectares sur les 140.000 couverts par le SAGE Vilaine et un accompagnement est prévu, fait-elle valoir.
"C'est un problème de santé publique", martèle Pascal Hervé, vice-président de Rennes métropole. Mais aussi environnemental et économique, avec des entreprises agro-industrielles très consommatrices d'eau.
En jeu, l'explosion prévue des coûts de dépollution de l'eau dans les années à venir, aujourd'hui payés par les consommateurs.
S'il est possible de rajouter des traitements pour potabiliser l'eau, "il serait suicidaire de les considérer comme une solution définitive, en raison de risque d’impasses technologiques et économiques et des impacts environnementaux négatifs", alerte Régis Taisne, de la FNCCR, une fédération de collectivités.
Ces dernières demandent notamment "une réelle application du principe pollueur-payeur", poursuit-il, pour éviter que les hausses de facture retombent uniquement sur les consommateurs.
"Il faut bien apprécier qui est le pollueur, à partir du moment où il y a de la vie, nous sommes tous pollueurs", répondait Franck Pellerin, de la FDSEA Morbihan, quelques jours avant la réunion.
Au-delà du secteur agricole, la révision du SAGE Vilaine concerne des activités industrielles, touristiques, l'urbanisation...
"Tout le monde est concerné, pas que les agriculteurs", insiste Pauline Pennober, de l'association Eau et Rivières de Bretagne.
"La situation est déjà extrêmement tendue", avec des périodes de sécheresse en 2022 et des inondations début 2025, dans une région où la population va croître, poursuit-elle. "La seule chose qui nous reste à faire, c'est de protéger la ressource", défend-t-elle.
K.Tanaka--JT